Comment réconcilier Spiritualité et Laïcité

Est-il si difficile de convenir avec le Professeur Maurice Agulhon, que « la France est une nation née chrétienne qui a choisi la modernité laïque, un peu comme un individu qui, atteignant l’âge adulte, choisit de combiner comme il l’entend, l’héritage moral qu’il a reçu avec la conscience qu’il a acquise » ?

Comment réconcilier Spiritualité et Laïcité ? On pourrait d’entrée de jeu m’objecter que ces deux concepts sont irréconciliables tant il est vrai que notre époque cherche, en permanence, à les opposer. En posant la question de la réconciliation, c’est-à-dire du rapprochement entre des points de vue à priori  contradictoires, nous interrogeons le rapport entre Humanisme et Transcendance. On peut être laïc sans pour autant crier « à bas la calotte » !

Au contraire, la laïcité, c’est le respect et l’affirmation du principe de séparation de l’Etat et de la religion et, dans le même temps, l’impartialité et la neutralité à l’égard de toutes les religions, à toutes les croyances, dans la limite du respect de la liberté de conscience de chacun et du respect des lois et des institutions de la République.

 Il n’y a donc pas d’incompatibilité entre la laïcité et la spiritualité, à condition que chacune respecte l’autre et opère dans le domaine qui lui est propre. En effet, on peut être laïc pour ce qui concerne le fonctionnement et l’organisation de l’État, tout en étant spiritualiste du point de vue de ses convictions personnelles, c’est-à-dire en recherchant à accéder à une forme de transcendance. Car, si bien sur la Spiritualité se rattache traditionnellement à la religion, en ce sens qu’elle trace la perspective de la relation entre l’être humain et le divin, sur un plan philosophique elle se rapporte à l’opposition de la matière et de l’esprit, de l’intériorité avec l’extériorité, de l’immanence avec la transcendance. Elle fait tout simplement référence à la quête de sens.

Si la question paraît aujourd’hui particulièrement complexe, c’est que la définition de la laïcité est diverse, multiple, plurielle même… Elle a été depuis le XIXème siècle parcourue de courants divers et même parfois antagonistes. Une acception – très excessive et souvent source de confusion – de la laïcité va jusqu’à la confondre avec l’athéisme qui fait le lit du matérialisme, lequel est fondé sur le rejet de toute forme de spiritualité. Au cours de l’histoire, et malheureusement l’actualité la plus chaude nous enseigne chaque jour que c’est encore le cas dans beaucoup d’endroits du monde, la plupart des nations furent sous l’influence d’une religion dominante, qu’il s’agisse de théocraties, de monarchies de droit divin ou, plus proches de nous, de républiques affirmant leur religiosité et professant le caractère obligatoire et excluant de la croyance d’Etat. La laïcité est fille de la raison en ce sens qu’elle introduit la séparation entre la société civile et la société religieuse, entre la sphère publique et la vie privée. Le concept moderne de laïcité, au-delà de l’acception traditionnelle de sécularisme, c’est-à-dire de séparation entre la chose publique et la vie religieuse, avec la  garantie pour chacun de pouvoir, dans la sphère privée, croire, douter, ou même choisir de ne pas avoir de foi, est directement hérité de l’humanisme des Lumières.

Liberté, Egalite, Fraternité. Ces trois mots qui constituent la devise de la République, nous les répétons à chaque ouverture et fermeture de nos travaux. Ils revêtent, pour nous Francs-Maçons, un sens et une force toute particulière  lorsqu’on les met en résonnance avec les attributs qui désignent les 3 colonnes qui décorent nos Temples et font écho à la trilogie classique des grands systèmes philosophiques : une théorie de la Sagesse (la recherche du vrai), une morale (la Force du juste et du bon), une esthétique (la recherche de la Beauté). Cette devise, à elle seule, permet, par le respect des sages préceptes qu’elle nous enjoint d’observer, d’apporter à notre thème du jour l’éclairage suivant : La Sagesse de l’Egalité entre toutes les croyances religieuses ou philosophiques, la Force de la Liberté de pouvoir croire, douter ou simplement chercher, en considérant comme certaine ou seulement probable, voir même impossible, l'existence divine, et, enfin, la Beauté de la Fraternité qui réconcilie au sein de nos Loges ces points de vue à priori pourtant contraires.

La Franc-Maçonnerie telle que nous la pratiquons, telle que nous la vivons au sein de la GLCS, nous permet de réconcilier Laïcité et Spiritualité, non pas dans l’improbable oxymore que serait l’expression d’une quelconque « spiritualité laïque », mais en tendant à réunir ce qui est épars et en affirmant que nous pouvons travailler à la réconciliation de l’Humanité par notre pratique maçonnique. Si le théisme est ainsi à la base même de notre fraternité comme de notre spiritualité maçonnique, la laïcité est consubstantielle à notre démarche initiatique. La mixité que nous avons choisie étant, elle, au cœur de notre Union spirituelle et initiatique.

Notre approche de la Franc-Maçonnerie se situe non pas dans une soumission au divin, mais dans une perspective d’alliance avec le divin. Dès lors, elle opte pour un spiritualisme naturaliste et a-dogmatique où le tracé du Temple correspond à une intention fondatrice, un désir cosmique, une recherche de transcendance. Alors oui, je le crois, le travail maçonnique permet de réconcilier, par la voie initiatique qu’il emprunte, Laïcité et Spiritualité dans une acception moderne et traditionnelle du Maçon, libre de ses choix et de ses croyances, travaillant au grand Œuvre de la Fraternité et de l’Union universelle.


TRF Thierry B :.

Grand Maître Honoris Causa